• DE CIRTA A CONSTANTINE. (1)

    Se référant aux informations figurant dans le « bellum africanum » attribué à César, La colonia sittianorum, citée par Appien et Pomponius Mela est assimilée par les historiens contemporains à Cirta (Constantine). En effet, César avait attribué à Sittius les territoires appartenant à un vassal de Juba du nom de Masinisa, situés dans la partie occidentale de la Numidie en guise d’«honoraires». Il créa également la seconde province d’Afrique, l’Africa Nova, (la précédente, instituée après la chute de Carthage, prit le nom d’Africa Vetus), et désigna Salluste pour son gouvernement.  

     D’autre part, le « condottiere » Sittius, déchu de la citoyenneté romaine et monnayant les services des mercenaires à sa solde, ne pouvait prétendre à constituer une colonie dans le cadre du droit romain. Les colonies étaient toujours créées pour recevoir des vétérans, c’est-à-dire des soldats libérés après avoir accompli des services dans l’armée romaine régulière.

     César  assassiné en 44 av. J-Ch et Sittius mourut dans la même année. Le triumvirat qui succéda à César (Octave, Lépide et Antoine), a connu une période de grands conflits appelés par les historiens antiques les « belli civilis » (les guerres civiles). Ces conflits avaient également gagné l’Afrique où les gouverneurs des provinces Africa Vetus et Africa Nova prirent position pour des différents belligérants.

     A ce moment, selon une hypothèse d’A.Berthier[1], les Sittiens adoptèrent la cause d’Octave, alors allié de Lépide et qui, dans un compromis précédent entre le triumvirat, bénéficia des territoires d’Afrique. En effet, se basant sur des textes de F.Bertrandy, considérant que les Sittiens contraints de choisir une tria nomina,  optèrent pour le gentilice Aemilius (celui de Lépide). Ce qui explique leur forte présence dans les environs de Cirta, à Thibilis (Announa) à Tigisis (Ain El Bordj) à Sigus, Milev (Mila) et Chullu (Collo).

    Selon une lecture de J.Heurgon[2], appuyée par A.Berthier, les Sittiens se retrouvèrent en nombre important  à Chullu (Collo), Rusicade (Skikda) et Milev (Mila). Cette présence est décelable dans les cognomen des trois cités. En effet, les épithètes : Sarnia, Veneria et Minervia figurant dans les titulatures respectives de Milev, Rusicade et Chullu, évoquent les villes de Campanie: la patrie de Sittius,   la Nucérie, Pompéi et Sorrente.

     Les colonies (Milev, Chullu et Rusicade) n’avaient pas de statut juridique, elles n’étaient que des colonies honoraires ou « contribuées » selon l’expression de certains historiens.

     La colonia Cirta portait quant à elle, l’épithète Julia, évoquant  généralement un projet impérial. Il avait fallu donc aux Sittiens de justifier un statut de « vétérans » pour bénéficier de la formation d’une colonie. Aucune information n’est disponible pour confirmer l’accord d’une telle faveur.

    L’hypothèse avancée par A.Berthier, revient à admettre une réorganisation des Sittiens en « milice» indépendante pour se constituer en « juventus ».  Ce statut n’était pas unique, car nous retrouvons un « collegium »  regroupant des « juvenes Saldae», à Bejaia et même dans les « res gestae divi augusti », nous lisons que les fils d’Octave (Gaius et Lucius) avaient été déclarés « principem juventitus » par le sénat.[3]  Cette nomination intervenait entre l’an (5 et 2 av.J-Ch), donc nettement postérieure à la constitution de la colonia Cirta, ce qui laisse croire que de telles  formation de la      « jeunesse » étaient déjà en « vogue ».

    Donc la formation de la Colonie était devenue possible, en substituant aux droits de « vétérans » la formation d’une « juvens» des Sittiens. Les inscriptions révélant la présence d’une juventus cirtae ou citenses ont été trouvées, l’une à Tiddis[4], une autre à Cuicul (Djemila) et une troisième encastrée dans un mur byzantin à Mila.

     Cette instauration est appuyée par la borne découverte à Ksar Mahidjiba au Sud/Est de Constantine en mars 1952. Exposée au Musée Cirta, étudiée par A.Piganiol et H.FG.Pflaum[5], elle indique une assignation  des terres sur l’ager publicus de Cirta à des colons sous le règne d’Auguste Octave en 26 av. J-C.

     « Imp(eratore) Caesare Augusto Dei(filio)) VII (I) T(ito) Statilio Tauro iterum cos(ulibus) L(ucius) Iulius Arrenus II vir agros ex d(ecreto) d(ecurionum) coloneis adsign(avit). »

     (L’Empereur César, fils divin, Auguste étant consul pour la huitième fois et Titus Statilius Taurus étant consul pour la seconde fois Lucius Julius Arrenus duumvir, en vertu d’un décret des décurions, a attribué des terres aux colons.)

    Ainsi la colonia Julia Juvenalis  honoris et virtutis Cirta serait née aux environs de l’an 26 av. J-C, sous le règne d’Auguste.  Cette datation a été également confirmée par A.Berthier [6] qui fait état d’une découverte à Tiddis en 1958 d’une monnaie ou il identifia l’effigie d’Auguste au droit et deux têtes accolées au revers qu’il attribua à Honos et virtutis, divinités des juventus.

     A.Berthier traduit cette transcription imagée par Colonia Julia Juvenalis honoris et virtutis Cirta, alors que le droit exprimerait Colonia Julia…

     La colonie a été instituée par Auguste, récompensant les Sittiens pour un probable appui lors des Guerres Civiles et déplaçant d’autres colons dans les environs de Cirta, dans un but de « peupler » ce territoire dont la majorité revenait à des autochtones.

     La fondation de la  colonie a été sans doute « décidée » par son prédécesseur. Nous connaissons un cas ou la disparition prématurée de César avait compromis la formation d’une colonie de droit romain : Arelate (Arles en France). Auguste voulant maintenir la clientèle politique de son père adoptif, rétablit la colonie en lui attribuant la titulature : Colonia Julia paterna Arelate Sextanorum

     Le mot « paterna » est relatif à la décision de César qu’Auguste avait achevée en installant les vétérans de la VIeme Légion.

    DE CIRTA A CONSTANTINE. (1)

    Acqueduc de CONSTANTINE

     

    En résumé, la création de la colonia Cirta n’était devenue possible qu’à la suite une :

    • Adaptation « juridiques », où les Sittiens s’étaient organisés en « juventus », assimilables en droit à des soldats « réguliers » et enfin pouvant bénéficier du statut accordé aux vétérans.
    •  Consécration religieuse, imposant dans les titulatures des colonies «honoraires », (Milev, Chullu et Rusicade) des surnoms théophores des villes de Campanie (Nucérie, Pompéi et Sorrente), évoquant exclusivement la patrie de Sittius et rappelant également les divinités césariennes (Minerve et Venus). Par contre la Colonia Cirta a été consacrée religieusement à Honos et Virtus, divinités protectrices des « juvenes ».

     Ainsi s’étaient accomplies les conditions de la naissance (ou de la renaissance) de la Confédération Cirtéenne, appelée également : Res publica quatuor coloniae Cirtenses, ou encore la Confédération des Quatre colonies.

     De l’avis de la majorité des historiens (même les plus contemporains), cette « confédération » constitue une exception dans le statut provincial romain.

     Un « hapax » pour J.Heurgon[7], « une exception dans le régime municipal romain » pour S.Gsell[8], une « forme de république originale…exception administrative…  » pour S.Lancel[9], ce sont quelques-unes des expressions utilisées pour qualifier cette « forme » d’organisation administrative.

     

    A.BOUCHAREB

    Texte tiré de la Thèse

    BOUCHAREB ABDELOUAHAB : CIRTA OU LE SUBSTRATUM URBAIN DE CONSTANTINE « La région, la ville et l’architecture dans l’antiquité » (Une étude en archéologie urbaine) Thèse de Doctorat, Université de Constantine, 2006.

     

    [1] BERTHIER A.La Numidie, Rome et le Maghreb. Ed.Picard. Paris.1981

    [2] HEURGON J. Les origines campaniennes de la Confédération Cirtéenne. In LIBYCA.1957.T.VI.pp.7-24.

    [3] Res Gestae divi augusti, est un texte gravé sur des tablettes de bronzes déposées dans le Mausolée d’Auguste Ces tablettes avaient disparues et certaines copies écrites en grecque avaient été récupérées en Asie Mineure et en Syrie Les textes ont été découverts à Ancyre (Ankara) en 1555 par un diplomate français en Turquie, ils ont été traduit dans un ouvrage de R.Etienne sous le titre  "le siècle d’Auguste". Ed.A.Collin..Paris.1970.pp.103-115. La référence au « principem juventitus » figure dans la Tablette 3.

    [4] ILA  II 3606 (Inscriptions Latines de l’Algérie)

    [5] PIGANIOL A. & HG PFLAUM. Borne de Ksar Mahij

    iba.in RSAC .T.LXVIII.pp.217-228.1953.

    [6] cité par BERTHIER A. ibid.p.106

    [7] HEURGON J.idem .en p.8

    [8] GSELL S.Histoire ancienne de l’Afrique du Nord.Ed.Hachette. Paris. 1921-1928 (8.t.).T VIII.p.158.

    [9] LANCEL S.L’Algérie antique.Ed.Lmenges.Paris.2004.en p.82.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :