• RESPUBLICA IIII (quattuor) COLONARIUM CIRTENSIUM

     Comme, nous l’avons constaté précédemment, cette confédération était vraiment exceptionnelle dans le statut provincial romain. Cirta était la capitale d’une Confédération commandant des colonies honoraires (Milev, Rusicade et Chullu), des castella et des pagi que nous verrons dans la suite.

      « ..Cet assemblage originel qui rattachait la Colonie Cirta-Constantine les colonies  « contribuées » de Rusicade (Skikda), Milev (Mila) et Chullu). Mais c’était aussi, un vaste territoire tout un ensemble de petites cités qui, sous le nom de pagi, étaient également placées sous la houlette de Cirta-Constantine ; Tigisis (Ain El Bordj) au sud, comme à Thibilis (Announa) à l’Est, des Magistri en assurant la gestion locale sous le contrôle de « préfets » qui, de Cirta représentaient les « trimuvirs » ».[1]

     Auparavant, il s’agit de présenter cette confédération géographiquement et historiquement :

     Délimitation de la Confédération Cirtéenne

     Si cette région est connue par ses colonies, Cirta, Rusicade, Chullu et Milev, elle possédait également une certaine profondeur au sud. Ainsi les limites Nord, Est et Ouest semblent correspondre à des éléments naturels, alors qu’au sud, les limites restent imprécises.

    En s’appuyant sur les documents cartographiques établis par des historiens et des archéologues, les limites de cette région correspondent :

    au Nord,  à la bande littorale donnant sur la méditerranée, allant de l’Est de Tacatua (Chetaibi), jusqu’à l’embouchure de l’Ampsaga (Le Rhummel), située à l’ouest du promontorium Metagonium (Cap Bougaroun).

     ·       L’Ampsaga constitua une frontière naturelle à ouest. (Cependant Cuicul, fondée en 96-97 sur le territoire de la Confédération avait été mise sous la tutelle du gouverneur de la Provincia Numidia Cirtensis). Cette limite se prolongeait au sud en englobant El Eulma (dont le nom romain Ad Portam constitue toujours un doute pour les historiens).

    • Au sud, cette limite comprenait M’chira, et aboutissait au sud de Gadiaufala (Ksar Sbahi). Une inscription trouvée à Chelghoum Laid, indiquait l’ager publicus des cirtéens[2].  S.Lancel avait également étudié une borne trouvée au Sud de Constantine, indiquant la délimitation du territoire des gentis des Suburbures et des Nicives.
    • A l’Est, l’Oued Cherf était une limite naturelle, qui se prolonge jusqu’à l’Est d’Aquae Thibilitanae (Hammam Meskhoutine) puis rejoint un point à l’Est de Chetaibi en traversant Djebel Taya, le Lac Fetzara et le massif de l’Edough. Une borne milliaire recueillie à l’Oued Ouider[3] mentionnait les limites entres Cirtenses et Hipponenes.    

     Notons également, que dans le découpage établi par les historiens, le territoire de la Confédération Cirtéenne englobait Civitas Nattabutum (Oum Guergueche)[4], quoique cette dernière soit généralement « effacée » des pagi relevant de Cirta.

     A regarder de près la composante géomorphologique de cette « région », nous constatons qu’elle s’étale sur les hautes plaines au sud, sur les zones montagneuses au Nord/ouest et la chaîne Numidique au Nord/est, sur les vallées de l’oued Rhummel et oued Safsaf, comme débouchés naturels sur le littoral. Donc des éléments du relief variés se rencontrent sur un espace organisé en « unité » géographique et territorial relevant d’une même tutelle.

     La Confédération Cirtéenne dans les découpages provinciaux romains   

     La confédération des quatre colonies s’était longtemps réjouie de son autonomie relative. Administrativement elle relevait de l’autorité du gouverneur de la Proconsulaire, qui était de rang sénatorial.

     Seulement, au moment ou la légion fut déplacée à Lambèse, le statut de la Confédération ne devait pas rester le même. Car en référence à l’organisation des territoires de l’empire romain, la présence de la légion, insérait la province « hôte » dans les prérogatives de l’empereur, qui déléguait un légat pour son gouvernement.

     « ….En fait, depuis l’année 37, administrée par le « légat » en charge du corps principal de l’armée d’Afrique, finalement fixée à Lambèse, au débouché nord des Aurès, au début du II eme Siècle. Lambèse fut ainsi de facto la capitale de la Numidie pendant près d’un siècle, jusqu’à ce que Septime Sévère officialise cette situation en détachant la Numidie de la Proconsulaire avec Lambèse pour capitale administrative.  Sous la Tetrachie (fin du III eme S.), l’un des résultats des redécoupages alors entrepris fut le partage de la Numidie en deux provinces : avec Cirta pour capitale, la province du nord héritait de la meilleure part, celle de l’ancienne confédération Cirtéenne, tandis que Lambèse demeurait la capitale de la Numidie Militaire »[5].     

     Dans cette période, la Numidie avait pour capitale Lambèse, où la Légion avait pris ses quartiers. Cette organisation territoriale instituée par Septime Sévère, privilégiant le militaire, correspondait aux tentatives de pacifier la région des Aurès, d’où partait des vives réactions de résistance et de désobéissance au pouvoir romain.

     Cette organisation fut abrogée sous le règne de Dioclétien (La Tétrarchie). Un nouveau découpage fut établi et la Numidie a été divisée en deux provinces : le Nord, la Numidia Cirtensis avec Cirta pour capitale et le Sud,  la Numidia militiana, militarisée, s’organisait autour de Lambèse.

     Dans cette chronologie, la Confédération Cirtéenne s’était maintenue comme enclave plus ou moins autonome. Tolérée par d’Octave, cette organisation semble obéir à une stratégie politique et sécuritaire en séparant la Proconsulaire de la Maurétanie par une « bande territoriale », dont la partie Nord (La confédération Cirtéenne), civile, était totalement acquise à la Romanitas et celle du sud militaire, dévolue à la légion qui s’occupait à pacifier, sécuriser et annexer d’autres territoires.

     Une dizaine d’années après, Constantin procéda à la réunification de la Numidie autour de Constantine.

     De Cirta à Constantina

     Rappelons au passage, qu’une initiative de la municipalité de Constantine a été prise en 1908, pour élever une statue de l’empereur Constantin « qui avait fait relever de ses cendres l’antique Cirta et lui avait donné son nom »[6]. Le sculpteur François Brasseur fut chargé d’élaborer cette œuvre en marbre blanc en s’inspirant de la statue de Constantin conservée à la Basilique de Saint-Jean-de-Latran à Rome.

     Cette œuvre se trouve actuellement sur la place en face à la Gare ferroviaire. Le piédestal dessiné par l’architecte Bonnell et approuvé par l’architecte Ballu porte l’inscription :

    « A Constantin-le-Grand, qui releva de ses ruines Cirta détruite par Maxence et lui donna son nom en 313. »

     Cette « reconnaissance » met un terme aux tentatives suggérant une toponymie relative à une origine arabe du nom de la ville : Qacentina, provenant de Ksar Tina et même His Tina[7].

     Ibn Kounfoud, nommait la ville Kasr Tina[8]. Joleaud [9] reprend cette version non sans essayer une analogie avec Athéna qu’Hérodote employait pour désigner la divinité Triton.  (Littéralement, la traduction de ce nom donne : Château de la reine Tina ou Château du Figuier.)

     Toujours est-il que l’initiative de la municipalité, appuyée par la Société Archéologique du Département de Constantine, avait définitivement lié le nom de la ville à l’empereur Romain.

     Nous citerons deux inscriptions publiées dans l’Annuaire de la Société Archéologique de la Province de Constantine[10] sur lesquelles apparaît le nom de Constantinae.

     ·       La première : correspondant au règne de Constance et Julien (entre 360 et 361), elle concerne l’élévation d’un monument par le Conseil municipal de coloniae Constantinae pour exalter les libéralités de Ceionius Italicus.

    • La seconde : datant de la même époque et pour le même personnage, accordée par « l’ordo coloniae milevitanae in foro constantinae civitatis… »[11] 

     Ce changement de nom était consécutif à une série d’évènements qui avait commencé à Rome.  Le « lancement » avait débuté avec la crise qui secoua la « Tétrarchie ». Le final avait opposé Constantin à Maxence. Ce dernier dut dominer Rome, ce qui n’était pas du goût de l’Afrique.

     En signe de désobéissance, le Vicaire des provinces d’Afrique, Domitius Alexander, s’autoproclama Empereur de Carthage en 308.

     Les lectures proposées pour cet épisode tendent à considérer dans leur majorité Domitius Alexander comme un « usurpateur », nourrissant des intentions de s’autoproclamer « empereur » en Afrique en se détachant de Rome.

    Une inscription sur le piédestal de la statue qui fut élevée en son honneur, trouvée en février 1876, sur la place du Palais du Bey (Aujourd’hui place Si El Houes)[12] vantait l’œuvre du personnage :

     « Au restaurateur de la liberté publique et au propagateur de tout le genre humain et du nom romain ».

     A.Berthier [13] opère une lecture intéressante, en situant l’action de Domitius Alexander comme réaction en faveur de Constantin.[14]. Car comme l’indique l’inscription relevée, il n’y avait pas chez l’ « usurpateur » de velléités séparatistes tant son œuvre s’inscrivait dans le « principe » de la romanitas. Il n’y avait donc pas de reniement de l’ordre romain dans les intentions de Domitius. 

     Cette fidélité est également confirmée par les émissions numismatiques sous le court règne de Domitius; la plupart des sept types évoquent la célébration du nom de Rome, de la religion Romaine et la fidélité des provinces d’Afrique[15].

     La désobéissance des provinces d’Afrique avait eu un grand retentissement dans la méditerranée[16] et l’alliance de Domitius avec Constantin était convenue. Durant ce temps, Rome fut privée du ravitaillement provenant de l’Afrique, ce qui avait soulevé des émeutes sanglantes, violemment réprimées par les prétoriens de Maxence.

     Cette situation obligea Maxence à reprendre les affaires africaines en main. Il dut confier cette mission au Préfet du Prétoire, ancien proconsul des provinces d’Afrique : Rufius Volsianus. 

     Fort de son armée, ce dernier occupa Carthage. Domitius se réfugia alors à Cirta, ville fortifiée et site approprié à ce genre de situation. La suite, toute simple, se termina par la mort de l’ « usurpateur » et la mise à sac de la ville.

     Il fallait attendre la bataille du pont Milvius sur le Tibre, qui départagea les deux prétendants Constantin et Maxence. La victoire revint au premier, dont le triomphe a été retentissant en Afrique, Cette joie fut traduite en inscriptions trouvées à Cherchell en Avril 1855 (dans le musée d’Alger) racontant la victoire du pont Milvius.[17]

    A Constantine, deux inscriptions gravées sur des pierres sont actuellement encastrées dans les murs de la Casbah célèbrent la « gloire de l’auteur de la liberté et de la sécurité perpétuelle » et louent « le très grand, très pieux, heureux, invincible et Auguste triomphateur de toutes les nations, qui a soumis toutes les fractions et qui, par son heureuse victoire a illuminé d’un rayon les ténèbres de la liberté opprimée par l’esclavage ».   

     Elle fut également mentionnée par Aurelius Victor : « A Cirta, qui était tombée en ruines lors du siège soutenu par Alexander, fut donné le nom de Constantine après que la ville eut été reconstruite et embellie »[18].

    Mais quelles sont les raisons qui avaient motivées Constantin pour accorder de telles faveurs à Cirta, en la reconstruisant et en lui donnant son nom ?

    Nous avons deux lectures distantes. La première, émise par J.Maguelonne[19] qui attribue ces faveurs à une requête des habitants de Cirta. Pour étayer son affirmation, il s’appuie sur les inscriptions gravées dans les pierres insérées dans les murs de la Casbah, dont les textes comportent des locutions de fortes insistances dans l’éloge.

     DE CIRTA A CONSTANTINE. (2)

    CONSTANTINE: le nid d'aigle.

    La seconde élaborée par A.Berthier[20], s’oriente sur le rôle qu’avait joué Cirta en faveur de l’empereur, qui, sensible à cet appui, avait accordé son attention à la cité, allant jusqu’à lui donner son nom. Ce qui conduit à confirmer l’hypothèse d’une « convention » de Domitius avec Constantin.

    Notre position rejoint plutôt la seconde lecture. Car les inscriptions dithyrambiques formulées sur les pierres expriment plutôt des sentiments de respect et vantent les bienfaits du Libérateur de l’oppression subie par les Cirtéens sous l’occupation de Maxence.

     D’autre part, la position de Cirta dans le conflit Constantin/Maxence était particulièrement exceptionnelle, en résistant, elle n’avait non seulement subi les affres de la ruine, mais donné un exemple retentissant de son appui à Constantin.

     En 313, Cirta, citée « à l’ordre de l’Empire », prit le nom de Constantina. Cette promotion a eu un double effet sur son statut :

     ·       provincial :

     Constantine était hissée au rang de capitale impériale de la province de Numidie (englobant le territoire de l’ancienne Confédération et la

     Numidie militaire, dont Lambèse était la capitale). 

    D’un « simple » chevalier » (rang équestre), son gouverneur était promu au rang de Sénateur consulaire avec un droit à « six faisceaux », soit un « consularis sexfescalis ».

     ·       urbain

    Cette promotion ne pouvait se concevoir sans engager des travaux d’embellissement, de restauration et reconstruction. Remarquons que le texte d’Aurelius Victor cite la reconstruction avant l’embellissement, ce qui laisse supposer que la ville n’était pas totalement détruite.

    Ces opérations sont porteuses d’un « renouveau architectural » que l’archéologie n’a pas encore fourni. Les édifices majeurs retrouvés et proches de cette époque sont le tétrapyle et l’édifice gisant sous le Marché Boumezzou, datant de la fin du IV eme Siècle.

     Cette promotion insère Cirta dans un champ historique « mondial ». «Elle est la seule ville d’Afrique qui ait reçu une distinction aussi éclatante, cette distinction à son tour indique qu’elle a joué un rôle essentiel ».[21]

    BOUCHAREB ABDELOUAHAB : CIRTA OU LE SUBSTRATUM URBAIN DE CONSTANTINE « La région, la ville et l’architecture dans l’antiquité » (Une étude en archéologie urbaine) Thèse de Doctorat, Université de Constantine, 2006.


    [1]LANCEL S. Idem p.86.

    [2] CIL VIII 8266

    [3] CIL VIII 10833.

    [4] Durant la colonisation cette localité prit le nom de Renier, aujourd’hui Ain makhlouf

    [5] idem p.82

    [6][6] MAGUELONNE J. Une statue de l’empereur Constantin. In RSAC Voll.Ser.5.1917/1918 .Imp.Braham. Constantine. pp.209.224..en p.209.

    [7] ESSAID S. Nefekh El Azhar Amma fi madinet qacentina mina el akhbar..Imp.ARJ.Bouzareah.1994.

    [8] idem p.11.

    [9] JOLEAUD. Les origines de Constantine .in Bull de la Soc. Géographique d’Alger.1918.

    [10] CHERBONNEAU A. Inscriptions latines découvertes dans la province de Constantine depuis le commencement de l’année 1860.  in  ASAPConstantine.1860.1861.Alessi & Arnolet. Constantine. pp.134.184. en p.137 et 138.

    [11] Trad. « par le conseil de la colonie milevienne dans le forum de la ville de Constantine ».

    [12] MAGUELONNE J. ibidem en p.220.

    [13] BERTHIER A.Constantina.Raisons et répercussions du changement de nom.in RSAC. Vol LXXI.1969.1971.p79.89.

    [14] En effet, Maximien était très populaire en Afrique, quant il était auguste.  N’ayant pas accordé de faveur à son fils Maxence, il fut chassé de Rome. Maximien prit le parti de Constantin.

    [15] P.SALAMA, cité par A.Berthier ibidem p.83

    [16] un milliaire a été trouve en 1964 au Sud de la Sardaigne , portant le nom de l’empereur africain Domitius. Cette information est citée par A.Berthier.ibidem.p83.

    [17] MAGUELONNE J. ibidem.p.216.

    [18] BERTHIER A.ibidem p.79.

    [19] MAGUELONNE J. ibidem..en p.220.

    [20] BERTHIER A.Constantina.Raisons et répercussions du changement de nom.in RSAC. Vol LXXI.1969.1971.p79.89.

    [21] BERTHIER A.ibidem.p.88.


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  • Se référant aux informations figurant dans le « bellum africanum » attribué à César, La colonia sittianorum, citée par Appien et Pomponius Mela est assimilée par les historiens contemporains à Cirta (Constantine). En effet, César avait attribué à Sittius les territoires appartenant à un vassal de Juba du nom de Masinisa, situés dans la partie occidentale de la Numidie en guise d’«honoraires». Il créa également la seconde province d’Afrique, l’Africa Nova, (la précédente, instituée après la chute de Carthage, prit le nom d’Africa Vetus), et désigna Salluste pour son gouvernement.  

     D’autre part, le « condottiere » Sittius, déchu de la citoyenneté romaine et monnayant les services des mercenaires à sa solde, ne pouvait prétendre à constituer une colonie dans le cadre du droit romain. Les colonies étaient toujours créées pour recevoir des vétérans, c’est-à-dire des soldats libérés après avoir accompli des services dans l’armée romaine régulière.

     César  assassiné en 44 av. J-Ch et Sittius mourut dans la même année. Le triumvirat qui succéda à César (Octave, Lépide et Antoine), a connu une période de grands conflits appelés par les historiens antiques les « belli civilis » (les guerres civiles). Ces conflits avaient également gagné l’Afrique où les gouverneurs des provinces Africa Vetus et Africa Nova prirent position pour des différents belligérants.

     A ce moment, selon une hypothèse d’A.Berthier[1], les Sittiens adoptèrent la cause d’Octave, alors allié de Lépide et qui, dans un compromis précédent entre le triumvirat, bénéficia des territoires d’Afrique. En effet, se basant sur des textes de F.Bertrandy, considérant que les Sittiens contraints de choisir une tria nomina,  optèrent pour le gentilice Aemilius (celui de Lépide). Ce qui explique leur forte présence dans les environs de Cirta, à Thibilis (Announa) à Tigisis (Ain El Bordj) à Sigus, Milev (Mila) et Chullu (Collo).

    Selon une lecture de J.Heurgon[2], appuyée par A.Berthier, les Sittiens se retrouvèrent en nombre important  à Chullu (Collo), Rusicade (Skikda) et Milev (Mila). Cette présence est décelable dans les cognomen des trois cités. En effet, les épithètes : Sarnia, Veneria et Minervia figurant dans les titulatures respectives de Milev, Rusicade et Chullu, évoquent les villes de Campanie: la patrie de Sittius,   la Nucérie, Pompéi et Sorrente.

     Les colonies (Milev, Chullu et Rusicade) n’avaient pas de statut juridique, elles n’étaient que des colonies honoraires ou « contribuées » selon l’expression de certains historiens.

     La colonia Cirta portait quant à elle, l’épithète Julia, évoquant  généralement un projet impérial. Il avait fallu donc aux Sittiens de justifier un statut de « vétérans » pour bénéficier de la formation d’une colonie. Aucune information n’est disponible pour confirmer l’accord d’une telle faveur.

    L’hypothèse avancée par A.Berthier, revient à admettre une réorganisation des Sittiens en « milice» indépendante pour se constituer en « juventus ».  Ce statut n’était pas unique, car nous retrouvons un « collegium »  regroupant des « juvenes Saldae», à Bejaia et même dans les « res gestae divi augusti », nous lisons que les fils d’Octave (Gaius et Lucius) avaient été déclarés « principem juventitus » par le sénat.[3]  Cette nomination intervenait entre l’an (5 et 2 av.J-Ch), donc nettement postérieure à la constitution de la colonia Cirta, ce qui laisse croire que de telles  formation de la      « jeunesse » étaient déjà en « vogue ».

    Donc la formation de la Colonie était devenue possible, en substituant aux droits de « vétérans » la formation d’une « juvens» des Sittiens. Les inscriptions révélant la présence d’une juventus cirtae ou citenses ont été trouvées, l’une à Tiddis[4], une autre à Cuicul (Djemila) et une troisième encastrée dans un mur byzantin à Mila.

     Cette instauration est appuyée par la borne découverte à Ksar Mahidjiba au Sud/Est de Constantine en mars 1952. Exposée au Musée Cirta, étudiée par A.Piganiol et H.FG.Pflaum[5], elle indique une assignation  des terres sur l’ager publicus de Cirta à des colons sous le règne d’Auguste Octave en 26 av. J-C.

     « Imp(eratore) Caesare Augusto Dei(filio)) VII (I) T(ito) Statilio Tauro iterum cos(ulibus) L(ucius) Iulius Arrenus II vir agros ex d(ecreto) d(ecurionum) coloneis adsign(avit). »

     (L’Empereur César, fils divin, Auguste étant consul pour la huitième fois et Titus Statilius Taurus étant consul pour la seconde fois Lucius Julius Arrenus duumvir, en vertu d’un décret des décurions, a attribué des terres aux colons.)

    Ainsi la colonia Julia Juvenalis  honoris et virtutis Cirta serait née aux environs de l’an 26 av. J-C, sous le règne d’Auguste.  Cette datation a été également confirmée par A.Berthier [6] qui fait état d’une découverte à Tiddis en 1958 d’une monnaie ou il identifia l’effigie d’Auguste au droit et deux têtes accolées au revers qu’il attribua à Honos et virtutis, divinités des juventus.

     A.Berthier traduit cette transcription imagée par Colonia Julia Juvenalis honoris et virtutis Cirta, alors que le droit exprimerait Colonia Julia…

     La colonie a été instituée par Auguste, récompensant les Sittiens pour un probable appui lors des Guerres Civiles et déplaçant d’autres colons dans les environs de Cirta, dans un but de « peupler » ce territoire dont la majorité revenait à des autochtones.

     La fondation de la  colonie a été sans doute « décidée » par son prédécesseur. Nous connaissons un cas ou la disparition prématurée de César avait compromis la formation d’une colonie de droit romain : Arelate (Arles en France). Auguste voulant maintenir la clientèle politique de son père adoptif, rétablit la colonie en lui attribuant la titulature : Colonia Julia paterna Arelate Sextanorum

     Le mot « paterna » est relatif à la décision de César qu’Auguste avait achevée en installant les vétérans de la VIeme Légion.

    DE CIRTA A CONSTANTINE. (1)

    Acqueduc de CONSTANTINE

     

    En résumé, la création de la colonia Cirta n’était devenue possible qu’à la suite une :

    • Adaptation « juridiques », où les Sittiens s’étaient organisés en « juventus », assimilables en droit à des soldats « réguliers » et enfin pouvant bénéficier du statut accordé aux vétérans.
    •  Consécration religieuse, imposant dans les titulatures des colonies «honoraires », (Milev, Chullu et Rusicade) des surnoms théophores des villes de Campanie (Nucérie, Pompéi et Sorrente), évoquant exclusivement la patrie de Sittius et rappelant également les divinités césariennes (Minerve et Venus). Par contre la Colonia Cirta a été consacrée religieusement à Honos et Virtus, divinités protectrices des « juvenes ».

     Ainsi s’étaient accomplies les conditions de la naissance (ou de la renaissance) de la Confédération Cirtéenne, appelée également : Res publica quatuor coloniae Cirtenses, ou encore la Confédération des Quatre colonies.

     De l’avis de la majorité des historiens (même les plus contemporains), cette « confédération » constitue une exception dans le statut provincial romain.

     Un « hapax » pour J.Heurgon[7], « une exception dans le régime municipal romain » pour S.Gsell[8], une « forme de république originale…exception administrative…  » pour S.Lancel[9], ce sont quelques-unes des expressions utilisées pour qualifier cette « forme » d’organisation administrative.

     

    A.BOUCHAREB

    Texte tiré de la Thèse

    BOUCHAREB ABDELOUAHAB : CIRTA OU LE SUBSTRATUM URBAIN DE CONSTANTINE « La région, la ville et l’architecture dans l’antiquité » (Une étude en archéologie urbaine) Thèse de Doctorat, Université de Constantine, 2006.

     

    [1] BERTHIER A.La Numidie, Rome et le Maghreb. Ed.Picard. Paris.1981

    [2] HEURGON J. Les origines campaniennes de la Confédération Cirtéenne. In LIBYCA.1957.T.VI.pp.7-24.

    [3] Res Gestae divi augusti, est un texte gravé sur des tablettes de bronzes déposées dans le Mausolée d’Auguste Ces tablettes avaient disparues et certaines copies écrites en grecque avaient été récupérées en Asie Mineure et en Syrie Les textes ont été découverts à Ancyre (Ankara) en 1555 par un diplomate français en Turquie, ils ont été traduit dans un ouvrage de R.Etienne sous le titre  "le siècle d’Auguste". Ed.A.Collin..Paris.1970.pp.103-115. La référence au « principem juventitus » figure dans la Tablette 3.

    [4] ILA  II 3606 (Inscriptions Latines de l’Algérie)

    [5] PIGANIOL A. & HG PFLAUM. Borne de Ksar Mahij

    iba.in RSAC .T.LXVIII.pp.217-228.1953.

    [6] cité par BERTHIER A. ibid.p.106

    [7] HEURGON J.idem .en p.8

    [8] GSELL S.Histoire ancienne de l’Afrique du Nord.Ed.Hachette. Paris. 1921-1928 (8.t.).T VIII.p.158.

    [9] LANCEL S.L’Algérie antique.Ed.Lmenges.Paris.2004.en p.82.


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  •   Communication donnée au Séminaire national organisé par le Centre de Recherche en préhistoire, anthropologie et en histoire. Ain Mlila. Mai 2009   

     

    Nous constatons que le syntagme « Sarim Batim » précède souvent Cirta quand il s’agit d’énumérer les toponymes relatifs à  Constantine.

    Cette appellation figurant dans l’Atlas Archéologique de l’Algérie[1], est donc classée dans les anciens noms de la ville mais sans aucune tentative d’éclairage, ni sur son sens, ni sur son origine.

    Ce syntagme mentionné sur les stèles votives mises au jour dans le site d’El Hofra, figure  dans le rapport des découvertes archéologiques effectuées à Constantine dont voici le contenu :  

    « A la sortie sud de la ville, sur le coteau d'El Hofra, à 150 mètres environ au S,-E. de l'Hôtel transatlantique (Auj. agence CPA.ndlr), la Société des Automobiles Renault (Auj. SONACOME ndlr),  a commencé, ce printemps, la construction d'un vaste garage. Le 6 mai, (1950) la pelle mécanique heurta un amas de stèles groupées sur une longueur de 75 mètres environ, posées à plat et formant une sorte de mur dont la hauteur ne dépassait pas l'épaisseur de quatre stèles tandis que la largeur variait de 0 m. 50 à 1 mètre. Les dimensions de ces stèles varient de 0 m. 50 à 1 m. en hauteur, de 0 m. 30 à 0 m. 50 de large, de 0 m. 08 à 0 m. 15 d'épaisseur. Elles sont généralement brisées et il a paru difficile jusqu'ici d'en rapprocher les morceaux.

     En septembre, on en avait 500 fragments dont plus de la moitié portent des inscriptions. Elles ont un fronton triangulaire parfois flanqué de deux acrotères. Le haut de la stèle est occupé soit par un motif décoratif, palmette ou rosette, soit par des symboles religieux, croissant retourné sur le disque ou le disque surmonté du croissant, caducée, couronne, disque solaire entouré de rayons, c'est-à-dire toute la décoration habituelle des stèles de sacrifice trouvées notamment à Carthage et précédemment à Constantine dans un site voisin de celui où viennent d'être rencontrées les nouvelles stèles. L'image de Tanit se rencontre très fréquemment - sur 118 stèles, dit M. Berthier, parmi les 156 qui ont fait l'objet d'un premier examen.

     Les stèles trouvées précédemment en 1875 sont celles de la collection Costa, au nombre de 130, qui se trouve actuellement au Musée du Louvre. Secondé par l'abbé Charlier, professeur au petit séminaire et sémitisant, M. Berthier a pu, grâce à l'intervention du Service des Antiquités, assurer la possession de ces stèles au Musée de Constantine et il en a commencé l'étude....

     L'expression MMLK 'DM qui semble indiquer un sacrifice humain revient fréquemment, généralement suivie de Sarim batim ».[2]

    L’expression complète transcrite en lettres latines donne :

    MLK(T) B’L , MLK(T) MR, MLK DM, BS’RM, BTM ZRM’ ST

    L’auteur fait donc allusion à : BTM ZRM, en l’exprimant par  Batim Sarim

    Donc les historiens (particulièrement  Ph.Berger)  avaient pensé qu'avant de prendre le nom de Cirta, la ville s'appellerait  SARIM BATIM.  Cependant, faute d'arguments, cette hypothèse a été abandonnée......

    En fait, cette découverte peut être encombrante pour tout ce qui a été écrit par les érudits de l'Institut de France et surtout pour le projet colonial en particulier.  Pourquoi ?

    Au départ quel est le sens de cette « expression » ?  

    Il faut préciser que cette locution n'avait pas bénéficié d'un intérêt profond.  Par un heureux hasard, notre prospection a rencontré une communication de A.F. Belkadi[3]. L'auteur retrace les hypothèses précédentes avancées pour l’attribution d’un sens à Sarim Batim.

     A la suite de Ph.Berger, P. Devaux  y voyait une expression signifiant « bonne santé », « intégrité ». Levi  Della Vida la faisait correspondre à la formule latine  DSP (de sua pecunia, à ses propres frais) et  l'auteur de la communication optait pour une formule à connotation funéraire, équivalente à  « à l’image des chrysanthèmes ».   

    Notre recherche dans les sources lexicales des langues anciennes a été fructueuse.

    Sarrim, signifie en akkadien [4]« roi, prince, seigneur, maître.. ». Batim, signifie « maison ».

    Dans la langue assyrienne[5], elle a la même signification.

    Notons qu'en l'hébreu Sarim signifie PRINCE, alors que dans la même langue « maison » se traduit par Beth. D’où BETH SARIM, une expression en usage chez la secte des Témoins de Jéhovah se traduisant par la Maison du Prince.

    D’autre part, il faut souligner que la langue punique adopte un système consonantique, c’est-à-dire, qu’elle se base sur la transcription des « consonnes », qui, jointes, donnent des mots. D’où la difficulté d’avoir une seule et unique prononciation.

    Ainsi, il y a lieu de ne considérer que la racine à savoir SRM et BTM.

    Mais les deux vocables renvoyaient-ils à « maison royale, maison du prince, ville royale… » ou le « roi de la maison » ? Nous ne pouvons nous prononcer. Cependant il faut noter que le panthéon punique était dominé par Melqart. Cette divinité était également mentionnée sur les stèles puniques de Constantine. Ce nom signifie selon les historiens : Melek Qart, soit le Prince de la ville ou le seigneur de la ville

    Cette expression est très proche de Sarim Batim. Etait-ce une survivance d’un idiome en usage plus ancien que le punique ?   

    Pour le moment, l’usage de cette expression importe peu…

    Cependant, nous devons apparenter cette expression à l’akkadien. Car cette dernière  supplanta tous les idiomes en Mésopotamie. Elle devint la langue politique et religieuse officielle en se propageant dans les pays babylonien, assyrien et …cananéen… 

    Pays cananéen ! C’est là que se situe la pertinence d'une telle expression

    Disons-le tout de go : l'origine CANANEENNE des habitants (ou une partie des habitants)   de Cirta et de ses alentours a été souvent avancée par les historiens antiques et disqualifiée par les historiens contemporains, particulièrement ceux agissant sous le patronage colonial. Nous avons assez de raisons pour affirmer qu'une telle hypothèse trouve appui dans plusieurs indices aussi bien historiographiques que « matériels ».

    Rappelons que le pays de Canaan comprenait le territoire allant du Jourdain à la Méditerranée. 

    Concernant les indices historiographiques,  nous allons les passer en revue dans l'ordre chronologique:

    Un témoignage de St Augustin (354-430) : « Demandez à nos paysans qui ils sont : ils répondent en punique qu’ils sont des Chenani. Cette forme corrompue par leur accent ne correspond-elle pas à Chananaeci (Cananéens) ? ».

    Pour rappel, St Augustin mentionnait que dans les environs d'Hippone (Fussalla à 40 miles) , les habitants parlaient un patois punique[6] . Dans une lettre au Pape Celestin en 422, il recommandait un évêque « punica lingua est instructus »  pour une localité proche.

     Le second indice était contenu dans la « Guerre des vandales » de l'historien attitré des Byzantins (533). Procope [7]  semble se désigner en témoin oculaire en faisant état de la découverte d'une inscription en « phénicien »  à Tigisis (Ain El Bordj à 50 km au Sud/Est de Constantine),

    « Puisque le plan de notre histoire nous a conduit à parler des Maures, il ne sera pas hors de propos de reprendre les choses de plus haut, et de dire d'où ils sont partis pour venir en Afrique, et de quelle manière ils s'y sont établis. Lorsque les Hébreux, après leur sortie d'Égypte, atteignirent les frontières de la Palestine, ils perdirent Moyse, leur sage Législateur, qui les avait conduits pendant le voyage. Il eut pour successeur Jésus, fils de Navé, qui, ayant introduit sa nation dans la Palestine, s'empara de cette contrée, et, déployant dans la guerre une valeur surhumaine, subjugua tous les indigènes, se rendit facilement maître de leurs villes, et s'acquit la réputation d'un général invincible. Alors, toute la région maritime qui s'étend depuis Sidon jusqu'aux frontières de l'Égypte se nommait Phénicie ; elle avait de tout temps obéi à un seul roi, ainsi que l'attestent tous les auteurs qui ont écrit sur les antiquités phéniciennes. Là, vivaient un grand nombre de peuplades différentes, les Gergéséens, les Jébuséens, et d'autres dont les noms sont inscrits dans les livres historiques des Hébreux. Lorsqu'elles virent qu'elles ne pouvaient résister aux armes du conquérant, elles abandonnèrent leur patrie, et se retirèrent d'abord en Égypte. Mais s'y trouvant trop à l'étroit, parce que, depuis fort longtemps, ce royaume était encombré d'une population considérable, ils passèrent en Afrique, occupèrent ce pays jusqu'au détroit de Cadix, et y fondèrent de nombreuses villes, dont les habitants parlent encore aujourd'hui la langue phénicienne. Ils construisirent aussi un fort dans une ville nommée alors Numidie, qui porte aujourd'hui le nom de Tigisis. Là, près d'une source très abondante, s'élèvent deux colonnes de marbre blanc, portant, gravée en lettres phéniciennes, une inscription dont le sens est : « Nous sommes ceux qui avons fui loin de la face du brigand Jésus, fils de Navé. » Avant leur arrivée, l'Afrique était habitée par d'autres peuples qui, s'y trouvant tirés depuis des siècles, étaient appelés les enfants du pays. C'est de là qu'on a donné le nom de fils de la terre à Antée, leur roi, avec lequel Hercule soutint une lutte à Clipea. Dans la suite, ceux qui émigrèrent de Phénicie avec Didon allèrent retrouver les habitants de l'Afrique, qui leur étaient unis par la communauté d'origine, et, avec leur consentement, ils fondèrent Carthage, et s'y établirent. Ces Carthaginois étant devenus dans la suite des temps puissants en nombre et en richesses, firent la guerre à leurs voisins, qui, comme nous venons de le dire, étaient les premiers arrivés de Palestine, et qu'on appelle aujourd'hui les Maures, les battirent en plusieurs rencontres, et les forcèrent à transporter leurs foyers bien loin de Carthage. Plus tard, les Romains, après avoir subjugué les uns et les autres, assignèrent pour demeures aux Maures les régions les plus éloignées de l'Afrique habitable, et soumirent au tribut les Carthaginois et les autres peuples libyens. Enfin les maures, après avoir souvent défait les Vandales, s'emparèrent du pays nommé aujourd'hui Mauritanie, qui s'étend depuis le détroit de Cadix jusqu'à la ville de Césarée, et de la plus grande partie du reste de l'Afrique. »

    Les historiens avaient corrigé le nom cité par Procope, car il s'agissait de JOSUAH, fils de NAVE. Ce dernier était l'homme qui succéda à MOISE  pour guider le peuple « israélite » vers la « terre promise ».   Donc ces canaani chassés vers 1200 av. J-Ch, avaient dû gagner le Maghreb par voie terrestre en faisant quelques « bivouacs » infructueux en cour de route. 

    Il faut souligner le fait que Procope ne cite nullement les cananéens, et pourtant il s’agissait donc d’eux. Les « livres » de la Bible, (le Livre de Joshua), racontent ces faits, en précisant que c’étaient les cananéens qui furent délogés de leur pays.  

    Auparavant, Salluste[8] rapportait certaines informations relatives au peuplement de l’Afrique, qu’il affirmait avoir  recueilli dans les « livres d’Hiempsal ». Ainsi chez l’auteur de «la guerre de Jugurtha », dans son périple méditerranéen, Hercule comptait dans ses troupes des Mèdes, des Perses et des Arméniens. Certains de ces derniers s’étaient mêlés aux Gétules et aux libyens. D’ailleurs, le nom de Maurus viendrait de Medus selon Salluste. « Mais ce furent les perses   qui  en peu de temps eurent un grand accroissement.»

    Dans tous les cas, ce témoignage  (1er S. av. J-Ch) est le plus ancien concernant un peuplement de l’Afrique par des orientaux.   

    Ibn Khaldoun au Moyen-Âge avançait l’hypothèse de l’origine des Berbères : ils « sont les enfants de Canaan, fils Cham, fils de Noé. Leur aïeul se nommait Mazigh. Et les philistins étaient leurs parents. »[9].

    Enfin dans l’opuscule d’Ibn El Moubarak ((1790-1870)[10],  l’auteur  écrivait : « J’ai appris de la bouche des hommes du savoir que la ville de Constantine a été fondée par celui-là même qui construisit Carthage et à la même époque ». Plus loin il apportait cette précision : elle datait du temps des « Adites ».  Dans ce sens, nous trouvons dans le Coran plusieurs versets citant les Adites : « N’as-tu point vu comment Dieu a agi avec les Adites (et avec) Irâm à la colonne (remarquable), (cité) dont jamais pareille ne fut créée dans quelconque pays ? »[11].

     Du temps de Houd (messager issu des Adites), il s’est écoulé environs 32 siècles, alors que l’établissement des cananéens s’était effectué après 1200 av.J-Ch, soit environ  32 siècles. Mathématiquement, les deux versions  concordent.    

     Tous ces témoignages n’avaient pas été considérés comme « convaincants ». Pire, ils n’attirèrent qu’un « mépris » scientifique sinon un intérêt superficiel.

    Ainsi, les affirmations de St Augustin ont reçu un déni formel. Les propos de Procope ne bénéficièrent pas de confiances, alors que les hypothèses d’Ibn Khaldoun [12]ont été considérées comme des mythes cultivés à partir des récits dictés par des exégèses chrétiennes et juives.  

    Dans ce débat houleux,  St. Gsell et E-F.Gauthier avaient fini par avoir le dernier mot. Ainsi, toute la tradition « orale » a été disqualifiée sous prétexte des considérations « narcissiques » des autochtones du temps de St Augustin. C’est-à-dire, quoi de mieux que de revendiquer des origines « glorieuses » pour les paysans de la numidie. Et depuis le volet semble être clos.

    Pourtant d’autres indices épigraphiques et matériels sont là pour renforcer l’hypothèse d’un peuplement oriental.

    Epigraphique.        

    Parmi les dédicants ayant déposé une stèle votive au Temple d'El Hofra, Abdesmun fils de Moadir le Cananéen[13]. Notons ici, que le dédicant n'avait pas manqué de citer le nom et l’origine de son ascendant: le pays de Canaan. (Ces stèles dateraient du IIIe S. av. J-Ch.).

    C'est dire que l'entretien de la mémoire, particulièrement concernant les origines, était resté vivace chez ces populations habitaient Cirta et ses alentours ....(Car 8 siècles après les paysans évoquaient  toujours leur origine chenani (St Augustin)...).

    La poterie peinte

    Comparée à celle produite à Gastel ou à Bounouara ou à Roknia, les décors de la poterie modelée de Tiddis ou du vase de Constantine sont très « bavards ». En effet, dichromes (peinture rouge sur engobe blanc), les figures stylisées sont inspirées d’une « thématique » du terroir, reprenant toujours des « scènes » agricoles

     Le motif principal qui se répète pratiquement dans tous les décors est le triangle. Les seules variations interviennent dans leurs remplissages : quadrillages, damier irrégulier, chevrons et losanges.

      Souvent respectant la même « mise en page », les triangles additionnent leurs bases pour souligner les bandeaux au niveau de la panse des vases. Ces derniers sont souvent marqués de losanges continus ou de lignes ondulées, représentant les cours d’eau ou les serpents.

     

     Les décors sont enrichis de motifs intercalés entre les triangles, ce qui augmente la « portée » du message à déchiffrer. En effet, ces motifs représentent des palmettes, des astres (étoiles, soleil), les animaux (taureau) des personnages (roi sur un trône et procession de femmes).

      Les « lectures » symboliques de ces figures par des spécialistes s’accordent à voir dans les triangles une représentation des montagnes, alors que les quadrillages et les damiers renvoient à la succession des saisons à la terre cultivée, ou les labours sont marqués par les sillons et la fécondation par les épis médians dans les triangles. Le soleil, l’étoile et les oiseaux soulignent également l’enchaînement des saisons.

     Les symboles phalliques (taureau) et pubiens (losanges) évoquent la fécondité, alors que l’eau (rivières) renvoie à la condition nécessaire à la vie. La procession des femmes représente des rites périodiques.  En somme, le terroir était si prégnant qu’il inspira les décors que les femmes portaient sur la poterie. L’agriculture était la pratique primordiale de ce peuple « potier » qui avait occupé Tiddis durant le IV e S. av. J-Ch.

     Au départ, il convient de mentionner le fait que cette poterie peinte avait constitué un véritable casse-tête aux historiens et aux archéologues. En effet, nous avons compris à travers leur « polémique » par articles interposés, que le fait de « récuser » l’antiquité de cette poterie, reposait sur une « énigme » présentée sous forme d’une question.

      Car les similitudes des motifs décoratifs utilisés en Mésopotamie, à Chypre, en Espagne, à Tiddis, à Malte et au Fezzan (Libye) sont « frappantes ». Comment ces modèles ase retrouvent-ils au Maghreb ?

      G. Camps s’est penché sur cette polémique et nous livre trois hypothèses avancées par les chercheurs. La première dite « continentale » affirme que ce transfert était arrivé depuis l’Égypte pharaonique et même prédynastique Cette proposition n’avait pas trouvé d’écho favorable, tant les modèles n’ont que vagues similitudes. La seconde, dite « maritime », s’appuyant sur les ressemblances entre les techniques des engobes et des décors, donne comme origine à la poterie Nord africaine la Méditerranée orientale (Chypre). Cette proposition suppose, soit une migration d’une colonie chypriote sur les côtes africaines, soit un déplacement d’Ibères vers les territoires syriens. 

      La troisième hypothèse se présente en opposition aux précédentes. Avancée par St. Gsell, elle croit que ces modèles de poterie modelée et peinte étaient une pure création « régionale ».

     

      Ces attitudes ne peuvent pas « clore » la polémique tant que la « similitude », particulièrement celles des techniques et des décors n’est pas résolue.

      Pour notre part, nous avions constaté que les origines sont toutes « orientées » sur la civilisation « européenne », Malte, Chypre et Anatolie. Et pourtant en consultant les modèles publiés par J-B Moreau, particulièrement, le modèle de Sialk (Mésopotamie et daté du Chalcolithique), les décors du modèle de Khafadje (3100 av. J-Ch) et les motifs du modèle de Samarra (Ve millénaire), on se rend compte que l’analogie avec les modèles « berbères » est indiscutable. L’auteur affirme que « la céramique mésopotamienne à décor géométrique, dite  Ninivite V, vers 3000 av. J-Ch, est d’origine nord iranienne ; elle fut diffusée par la vallée du Zab en Assyrie (Irak, Iran) .(Décors identiques à ceux de la poterie berbère) »[14]

      Notons au préalable que la poterie « berbère » est totalement différente de la poterie punique.

     Si nous admettons que les « matériaux » et les couleurs correspondent aux « ressources » disponibles sur le site ou à proximité (Tiddis), les motifs sont quasi-immuables dans le principe (losanges, triangles, chevrons ),  cependant les « messages » « transmettaient » la réalité locale (vocation agricole, périodicité des saisons, rituels…).

     Même si nous ne pouvons être si affirmatif, il y a des indices qui ne trompent pas : les origines mésopotamiennes, l’Assyrie….les perses et les Mèdes cités par Salluste ou les cananéens ?

      Ces derniers ne seraient-ils pas ces migrants venus des territoires assyriens et dans leur « bagages » ces techniques et ces motifs de modelage de la poterie ?

      Arrêtons là et laissons la réponse à d’autres compétences. 

     

    L’Architecture

    Le tombeau de Cyrus

    Nous devons cette indication à E.Thepenier [15] qui avait été l’auteur d’une comparaison de la Soumaa, mausolée situé au Khroub avec un tombeau situé à Pasargades en Perse (plaine de Polvar), étudiée en 1881-82 par la mission Dieulafoy. Ce tombeau appelé Gabre Madéré Soleiman  (Tombeau de la mère de Salomon), est actuellement attribué au roi Achéménide Cyrus le Grand. Ce dernier était à la tête de l’empire perse de 559 à 530 av. J-C .

     Le tombeau est composé de :

    •  un podium de cinq marches disposées en gradin
    • une chambre sépulcrale, rectangulaire couverte d’un toit à double pente.

     Le mausolée de la Soumaa semble s’inscrire dans une typologie basée particulièrement sur la configuration morphologique et compositionnelle des monuments funéraires édifiés autour ou à proximité de la méditerranée.

      En effet, de par sa composition, il traduit un stade d’évolution des monuments funéraires, tout en gardant une « parenté » avec le type initial ou l’archétype « africain ». Ce dernier semble être le modèle abstrait apparaissant sur les fresques de la tombe VIII de Jebel Mlezza.

      Si nous considérons l’ancienneté comme critère définissant l’archétype de base, le tombeau de Cyrus (autour de 530 av. J-C) constituera l’origine d’un itinéraire typologique que les grecs avaient enrichi en y insérant des normes « esthétiques » développées durant la période hellénistique (à partir de 330 av. J-C, caractérisée surtout par la rencontre de l’art grec avec l’art oriental).

      Le mausolée de la Soumaa se présente comme un modèle « architectural » dont les lignes de forces, la configuration et la géométrie proviennent d’une « évolution » typologique. Dans ce sens l’ « archétype » est représenté par le tombeau de Cyrus. Ainsi, cette relation peut s’expliquer par une mémorisation « stylistique » accompagnant les hommes dans leur déplacement.

      Le mausolée de la Soumaa semble s’inscrire dans une typologie basée particulièrement sur la configuration morphologique et compositionnelle des monuments funéraires édifiés autour ou à proximité de la méditerranée.

      Conclusion :

    Cette modeste contribution ne prétend pas « refaire »  ni l’histoire ni le monde. Cependant, il est temps de « décoloniser » l’histoire. Beaucoup de « faits » ont été disqualifiés parce qu’ils ne favorisaient pas le projet colonialiste.

      Ces origines orientales ou cananéennes ont été sous-estimées et éloignées  sous différents prétextes. St Augustin, Procope, Ibn Khaldoun n’ont pas bénéficiés de la crédibilité  méritée. Et pourtant dans d’autres domaines, ils font autorité.

      Nous ne pouvons   affirmer que Sarim Batim était un toponyme ayant précédé celui de Cirta, mais son origine et son sens informent sur d’autres faits : l’origine oriental d’un idiome et d’une « communauté » qui habitaient dans les environs de Constantine dans les temps antiques.

      L’épigraphie punique n’a pas tout révélé. Qu’un dédicant se permettait d’évoquer l’origine de son ascendant, était une forme de démarcation volontaire par rapport à l’ordre établi. Que le syntagme de Sarim Batim s’ajoute à cette origine déclarée, voilà qui éclaircie la situation.

      La décoration figurant sur la poterie de Tiddis n’a pas de rapports avec le matériau ni avec la forme des vases. Il se trouve que cette stylistique décorative (encore vivace en milieu rural) possède des apparentements avec des modèles très anciens de la Mésopotamie. Cette ressemblance est-elle due au hasard ? Gsell et  Camps faisaient-ils semblant d’ignorer les rapports entre ces origines cananéennes ou orientales et ces décors très singuliers ? Tellement singuliers qu’ils ne peuvent être obtenus que par une transmission  d’une mémoire….

      Enfin, l’architecture, des monuments funéraires, on y a vu tous les styles, gréco-punique, gréco-égyptien…Et pourtant, la Soumaa n’est pas loin du tombeau de Cyrus… Même l’architecture grecque s’était inspirée de cette architecture perse….Alexandre le Grand n’était-il pas accompagné de savants lors de sa conquête… ? Ne s’était-il recueilli devant la tombe de Cyrus…. ? C’est que l’endroit méritait, sans doute  une halte… 

         

     

    A.BOUCHAREB

     


    [1]. Gsell.  St .Atlas Archéologique de l'Algérie. Ed.Jourdan. Alger/ Lib. Fontemoins. Paris.1911.(Feuillet 17)

    [2] Grenier A. Nouvelles archéologiques d'Algérie. In CRAI .1950 pp. 345-354 en p.352.

    [3] Belkadi A F.  Le sanctuaire punique d'El Hofra à Constantine in  Actes du VI eme Internacinal Congress od Phoenician and Punic Studies de septembre 2005,

    [4] Voir à ce propos Hein Bernd et All. Les langues africaines. Ed.Karthala.2004. en p110.

    [5] Hetzron R. The semite languages. 1997 en p.93.

    [6] Voir Epistola. CCIX. 2 & 3. 75

    [7]  PROCOPE. Histoire de la guerre des Vandales .Livre I. Parag. III. (Figurant dans  Dureau de la Malle. Histoires des guerres des romains des vandales et des byzantins.Lib.Didot.Paris.1852.

     

    [8] Salluste. La guerre de Jughurtha. (trad. Par Dureau-Delamalle.Guiguet et Michaud. Imp/lib.1808).

    [9] Ibn Khaldoun. Histoire des Berbères. Vol I. en p.182 et 184.

    [10] Tarikh hadhirat Qacentina . Voir à ce propos la traduction de DOURNON A. Histoire de Constantine. in Revue Africaine.n°67.1913.p.265.

    [11] Sourate LXXXIX.. L’Aube (El Fajr).Coran.trad.H.Boubaker. Ed.ENAG.Alger.1989.T2.

    [12] Modéran Y. Mythe et histoire aux derniers temps de l’Afrique antique : à propos d’un texte d’Ibn Khaldûn. 

    In Revue Historique. N° 216. 2001/2. pp 315-341.

    [13] Berthier A. Charlier R. Le sanctuaire punique d’El Hofra. Paris .1955.

    [14] MOREAU J-B.Les grands symboles méditerranéens dans la poterie algérienne. Ed.à Liv.ouverts.Alfer.2000. en p.28.

    [15] THEPENIER E. Réflexions et suppositions au sujet des découvertes faites à la Souma. in RSAC. 6eme Vol .de la 5eme Série.1915. Constantine.1916.pp.185-199.


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