• DE CIRTA A CONSTANTINE. (2)

    RESPUBLICA IIII (quattuor) COLONARIUM CIRTENSIUM

     Comme, nous l’avons constaté précédemment, cette confédération était vraiment exceptionnelle dans le statut provincial romain. Cirta était la capitale d’une Confédération commandant des colonies honoraires (Milev, Rusicade et Chullu), des castella et des pagi que nous verrons dans la suite.

      « ..Cet assemblage originel qui rattachait la Colonie Cirta-Constantine les colonies  « contribuées » de Rusicade (Skikda), Milev (Mila) et Chullu). Mais c’était aussi, un vaste territoire tout un ensemble de petites cités qui, sous le nom de pagi, étaient également placées sous la houlette de Cirta-Constantine ; Tigisis (Ain El Bordj) au sud, comme à Thibilis (Announa) à l’Est, des Magistri en assurant la gestion locale sous le contrôle de « préfets » qui, de Cirta représentaient les « trimuvirs » ».[1]

     Auparavant, il s’agit de présenter cette confédération géographiquement et historiquement :

     Délimitation de la Confédération Cirtéenne

     Si cette région est connue par ses colonies, Cirta, Rusicade, Chullu et Milev, elle possédait également une certaine profondeur au sud. Ainsi les limites Nord, Est et Ouest semblent correspondre à des éléments naturels, alors qu’au sud, les limites restent imprécises.

    En s’appuyant sur les documents cartographiques établis par des historiens et des archéologues, les limites de cette région correspondent :

    au Nord,  à la bande littorale donnant sur la méditerranée, allant de l’Est de Tacatua (Chetaibi), jusqu’à l’embouchure de l’Ampsaga (Le Rhummel), située à l’ouest du promontorium Metagonium (Cap Bougaroun).

     ·       L’Ampsaga constitua une frontière naturelle à ouest. (Cependant Cuicul, fondée en 96-97 sur le territoire de la Confédération avait été mise sous la tutelle du gouverneur de la Provincia Numidia Cirtensis). Cette limite se prolongeait au sud en englobant El Eulma (dont le nom romain Ad Portam constitue toujours un doute pour les historiens).

    • Au sud, cette limite comprenait M’chira, et aboutissait au sud de Gadiaufala (Ksar Sbahi). Une inscription trouvée à Chelghoum Laid, indiquait l’ager publicus des cirtéens[2].  S.Lancel avait également étudié une borne trouvée au Sud de Constantine, indiquant la délimitation du territoire des gentis des Suburbures et des Nicives.
    • A l’Est, l’Oued Cherf était une limite naturelle, qui se prolonge jusqu’à l’Est d’Aquae Thibilitanae (Hammam Meskhoutine) puis rejoint un point à l’Est de Chetaibi en traversant Djebel Taya, le Lac Fetzara et le massif de l’Edough. Une borne milliaire recueillie à l’Oued Ouider[3] mentionnait les limites entres Cirtenses et Hipponenes.    

     Notons également, que dans le découpage établi par les historiens, le territoire de la Confédération Cirtéenne englobait Civitas Nattabutum (Oum Guergueche)[4], quoique cette dernière soit généralement « effacée » des pagi relevant de Cirta.

     A regarder de près la composante géomorphologique de cette « région », nous constatons qu’elle s’étale sur les hautes plaines au sud, sur les zones montagneuses au Nord/ouest et la chaîne Numidique au Nord/est, sur les vallées de l’oued Rhummel et oued Safsaf, comme débouchés naturels sur le littoral. Donc des éléments du relief variés se rencontrent sur un espace organisé en « unité » géographique et territorial relevant d’une même tutelle.

     La Confédération Cirtéenne dans les découpages provinciaux romains   

     La confédération des quatre colonies s’était longtemps réjouie de son autonomie relative. Administrativement elle relevait de l’autorité du gouverneur de la Proconsulaire, qui était de rang sénatorial.

     Seulement, au moment ou la légion fut déplacée à Lambèse, le statut de la Confédération ne devait pas rester le même. Car en référence à l’organisation des territoires de l’empire romain, la présence de la légion, insérait la province « hôte » dans les prérogatives de l’empereur, qui déléguait un légat pour son gouvernement.

     « ….En fait, depuis l’année 37, administrée par le « légat » en charge du corps principal de l’armée d’Afrique, finalement fixée à Lambèse, au débouché nord des Aurès, au début du II eme Siècle. Lambèse fut ainsi de facto la capitale de la Numidie pendant près d’un siècle, jusqu’à ce que Septime Sévère officialise cette situation en détachant la Numidie de la Proconsulaire avec Lambèse pour capitale administrative.  Sous la Tetrachie (fin du III eme S.), l’un des résultats des redécoupages alors entrepris fut le partage de la Numidie en deux provinces : avec Cirta pour capitale, la province du nord héritait de la meilleure part, celle de l’ancienne confédération Cirtéenne, tandis que Lambèse demeurait la capitale de la Numidie Militaire »[5].     

     Dans cette période, la Numidie avait pour capitale Lambèse, où la Légion avait pris ses quartiers. Cette organisation territoriale instituée par Septime Sévère, privilégiant le militaire, correspondait aux tentatives de pacifier la région des Aurès, d’où partait des vives réactions de résistance et de désobéissance au pouvoir romain.

     Cette organisation fut abrogée sous le règne de Dioclétien (La Tétrarchie). Un nouveau découpage fut établi et la Numidie a été divisée en deux provinces : le Nord, la Numidia Cirtensis avec Cirta pour capitale et le Sud,  la Numidia militiana, militarisée, s’organisait autour de Lambèse.

     Dans cette chronologie, la Confédération Cirtéenne s’était maintenue comme enclave plus ou moins autonome. Tolérée par d’Octave, cette organisation semble obéir à une stratégie politique et sécuritaire en séparant la Proconsulaire de la Maurétanie par une « bande territoriale », dont la partie Nord (La confédération Cirtéenne), civile, était totalement acquise à la Romanitas et celle du sud militaire, dévolue à la légion qui s’occupait à pacifier, sécuriser et annexer d’autres territoires.

     Une dizaine d’années après, Constantin procéda à la réunification de la Numidie autour de Constantine.

     De Cirta à Constantina

     Rappelons au passage, qu’une initiative de la municipalité de Constantine a été prise en 1908, pour élever une statue de l’empereur Constantin « qui avait fait relever de ses cendres l’antique Cirta et lui avait donné son nom »[6]. Le sculpteur François Brasseur fut chargé d’élaborer cette œuvre en marbre blanc en s’inspirant de la statue de Constantin conservée à la Basilique de Saint-Jean-de-Latran à Rome.

     Cette œuvre se trouve actuellement sur la place en face à la Gare ferroviaire. Le piédestal dessiné par l’architecte Bonnell et approuvé par l’architecte Ballu porte l’inscription :

    « A Constantin-le-Grand, qui releva de ses ruines Cirta détruite par Maxence et lui donna son nom en 313. »

     Cette « reconnaissance » met un terme aux tentatives suggérant une toponymie relative à une origine arabe du nom de la ville : Qacentina, provenant de Ksar Tina et même His Tina[7].

     Ibn Kounfoud, nommait la ville Kasr Tina[8]. Joleaud [9] reprend cette version non sans essayer une analogie avec Athéna qu’Hérodote employait pour désigner la divinité Triton.  (Littéralement, la traduction de ce nom donne : Château de la reine Tina ou Château du Figuier.)

     Toujours est-il que l’initiative de la municipalité, appuyée par la Société Archéologique du Département de Constantine, avait définitivement lié le nom de la ville à l’empereur Romain.

     Nous citerons deux inscriptions publiées dans l’Annuaire de la Société Archéologique de la Province de Constantine[10] sur lesquelles apparaît le nom de Constantinae.

     ·       La première : correspondant au règne de Constance et Julien (entre 360 et 361), elle concerne l’élévation d’un monument par le Conseil municipal de coloniae Constantinae pour exalter les libéralités de Ceionius Italicus.

    • La seconde : datant de la même époque et pour le même personnage, accordée par « l’ordo coloniae milevitanae in foro constantinae civitatis… »[11] 

     Ce changement de nom était consécutif à une série d’évènements qui avait commencé à Rome.  Le « lancement » avait débuté avec la crise qui secoua la « Tétrarchie ». Le final avait opposé Constantin à Maxence. Ce dernier dut dominer Rome, ce qui n’était pas du goût de l’Afrique.

     En signe de désobéissance, le Vicaire des provinces d’Afrique, Domitius Alexander, s’autoproclama Empereur de Carthage en 308.

     Les lectures proposées pour cet épisode tendent à considérer dans leur majorité Domitius Alexander comme un « usurpateur », nourrissant des intentions de s’autoproclamer « empereur » en Afrique en se détachant de Rome.

    Une inscription sur le piédestal de la statue qui fut élevée en son honneur, trouvée en février 1876, sur la place du Palais du Bey (Aujourd’hui place Si El Houes)[12] vantait l’œuvre du personnage :

     « Au restaurateur de la liberté publique et au propagateur de tout le genre humain et du nom romain ».

     A.Berthier [13] opère une lecture intéressante, en situant l’action de Domitius Alexander comme réaction en faveur de Constantin.[14]. Car comme l’indique l’inscription relevée, il n’y avait pas chez l’ « usurpateur » de velléités séparatistes tant son œuvre s’inscrivait dans le « principe » de la romanitas. Il n’y avait donc pas de reniement de l’ordre romain dans les intentions de Domitius. 

     Cette fidélité est également confirmée par les émissions numismatiques sous le court règne de Domitius; la plupart des sept types évoquent la célébration du nom de Rome, de la religion Romaine et la fidélité des provinces d’Afrique[15].

     La désobéissance des provinces d’Afrique avait eu un grand retentissement dans la méditerranée[16] et l’alliance de Domitius avec Constantin était convenue. Durant ce temps, Rome fut privée du ravitaillement provenant de l’Afrique, ce qui avait soulevé des émeutes sanglantes, violemment réprimées par les prétoriens de Maxence.

     Cette situation obligea Maxence à reprendre les affaires africaines en main. Il dut confier cette mission au Préfet du Prétoire, ancien proconsul des provinces d’Afrique : Rufius Volsianus. 

     Fort de son armée, ce dernier occupa Carthage. Domitius se réfugia alors à Cirta, ville fortifiée et site approprié à ce genre de situation. La suite, toute simple, se termina par la mort de l’ « usurpateur » et la mise à sac de la ville.

     Il fallait attendre la bataille du pont Milvius sur le Tibre, qui départagea les deux prétendants Constantin et Maxence. La victoire revint au premier, dont le triomphe a été retentissant en Afrique, Cette joie fut traduite en inscriptions trouvées à Cherchell en Avril 1855 (dans le musée d’Alger) racontant la victoire du pont Milvius.[17]

    A Constantine, deux inscriptions gravées sur des pierres sont actuellement encastrées dans les murs de la Casbah célèbrent la « gloire de l’auteur de la liberté et de la sécurité perpétuelle » et louent « le très grand, très pieux, heureux, invincible et Auguste triomphateur de toutes les nations, qui a soumis toutes les fractions et qui, par son heureuse victoire a illuminé d’un rayon les ténèbres de la liberté opprimée par l’esclavage ».   

     Elle fut également mentionnée par Aurelius Victor : « A Cirta, qui était tombée en ruines lors du siège soutenu par Alexander, fut donné le nom de Constantine après que la ville eut été reconstruite et embellie »[18].

    Mais quelles sont les raisons qui avaient motivées Constantin pour accorder de telles faveurs à Cirta, en la reconstruisant et en lui donnant son nom ?

    Nous avons deux lectures distantes. La première, émise par J.Maguelonne[19] qui attribue ces faveurs à une requête des habitants de Cirta. Pour étayer son affirmation, il s’appuie sur les inscriptions gravées dans les pierres insérées dans les murs de la Casbah, dont les textes comportent des locutions de fortes insistances dans l’éloge.

     DE CIRTA A CONSTANTINE. (2)

    CONSTANTINE: le nid d'aigle.

    La seconde élaborée par A.Berthier[20], s’oriente sur le rôle qu’avait joué Cirta en faveur de l’empereur, qui, sensible à cet appui, avait accordé son attention à la cité, allant jusqu’à lui donner son nom. Ce qui conduit à confirmer l’hypothèse d’une « convention » de Domitius avec Constantin.

    Notre position rejoint plutôt la seconde lecture. Car les inscriptions dithyrambiques formulées sur les pierres expriment plutôt des sentiments de respect et vantent les bienfaits du Libérateur de l’oppression subie par les Cirtéens sous l’occupation de Maxence.

     D’autre part, la position de Cirta dans le conflit Constantin/Maxence était particulièrement exceptionnelle, en résistant, elle n’avait non seulement subi les affres de la ruine, mais donné un exemple retentissant de son appui à Constantin.

     En 313, Cirta, citée « à l’ordre de l’Empire », prit le nom de Constantina. Cette promotion a eu un double effet sur son statut :

     ·       provincial :

     Constantine était hissée au rang de capitale impériale de la province de Numidie (englobant le territoire de l’ancienne Confédération et la

     Numidie militaire, dont Lambèse était la capitale). 

    D’un « simple » chevalier » (rang équestre), son gouverneur était promu au rang de Sénateur consulaire avec un droit à « six faisceaux », soit un « consularis sexfescalis ».

     ·       urbain

    Cette promotion ne pouvait se concevoir sans engager des travaux d’embellissement, de restauration et reconstruction. Remarquons que le texte d’Aurelius Victor cite la reconstruction avant l’embellissement, ce qui laisse supposer que la ville n’était pas totalement détruite.

    Ces opérations sont porteuses d’un « renouveau architectural » que l’archéologie n’a pas encore fourni. Les édifices majeurs retrouvés et proches de cette époque sont le tétrapyle et l’édifice gisant sous le Marché Boumezzou, datant de la fin du IV eme Siècle.

     Cette promotion insère Cirta dans un champ historique « mondial ». «Elle est la seule ville d’Afrique qui ait reçu une distinction aussi éclatante, cette distinction à son tour indique qu’elle a joué un rôle essentiel ».[21]

    BOUCHAREB ABDELOUAHAB : CIRTA OU LE SUBSTRATUM URBAIN DE CONSTANTINE « La région, la ville et l’architecture dans l’antiquité » (Une étude en archéologie urbaine) Thèse de Doctorat, Université de Constantine, 2006.


    [1]LANCEL S. Idem p.86.

    [2] CIL VIII 8266

    [3] CIL VIII 10833.

    [4] Durant la colonisation cette localité prit le nom de Renier, aujourd’hui Ain makhlouf

    [5] idem p.82

    [6][6] MAGUELONNE J. Une statue de l’empereur Constantin. In RSAC Voll.Ser.5.1917/1918 .Imp.Braham. Constantine. pp.209.224..en p.209.

    [7] ESSAID S. Nefekh El Azhar Amma fi madinet qacentina mina el akhbar..Imp.ARJ.Bouzareah.1994.

    [8] idem p.11.

    [9] JOLEAUD. Les origines de Constantine .in Bull de la Soc. Géographique d’Alger.1918.

    [10] CHERBONNEAU A. Inscriptions latines découvertes dans la province de Constantine depuis le commencement de l’année 1860.  in  ASAPConstantine.1860.1861.Alessi & Arnolet. Constantine. pp.134.184. en p.137 et 138.

    [11] Trad. « par le conseil de la colonie milevienne dans le forum de la ville de Constantine ».

    [12] MAGUELONNE J. ibidem en p.220.

    [13] BERTHIER A.Constantina.Raisons et répercussions du changement de nom.in RSAC. Vol LXXI.1969.1971.p79.89.

    [14] En effet, Maximien était très populaire en Afrique, quant il était auguste.  N’ayant pas accordé de faveur à son fils Maxence, il fut chassé de Rome. Maximien prit le parti de Constantin.

    [15] P.SALAMA, cité par A.Berthier ibidem p.83

    [16] un milliaire a été trouve en 1964 au Sud de la Sardaigne , portant le nom de l’empereur africain Domitius. Cette information est citée par A.Berthier.ibidem.p83.

    [17] MAGUELONNE J. ibidem.p.216.

    [18] BERTHIER A.ibidem p.79.

    [19] MAGUELONNE J. ibidem..en p.220.

    [20] BERTHIER A.Constantina.Raisons et répercussions du changement de nom.in RSAC. Vol LXXI.1969.1971.p79.89.

    [21] BERTHIER A.ibidem.p.88.


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